eugene

Eugène

392 – 394
Eugène
(Flavius Eugenius)

Un beau jour de l’année 392, l’empereur Valentinien II, que Théodose avait désigné pour gouverner la partie occidentale de l’Empire et qui se prétendait prisonnier dans son propre palais de Vienne (dans les Gaules), se jeta sur son tuteur, le général franc Arbogast, l’épée à la main. Les courtisans eurent toutes les peines du monde à séparer les deux adversaires.

Désormais, les choses étaient claires : le jeune empereur (il n’avait que vingt ans) ne pouvait plus voir son mentor en peinture et profiterait de la moindre occasion pour se débarrasser de lui. S’il ne voulait passer à la trappe et de vie à trépas, Arbogast avait donc tout intérêt à prendre les devants. C’est ce qu’il fit : quelques jours après la bagarre, on retrouva le jeune Valentinien pendu à un arbre. Il va de soi que personne ne crut au suicide… et surtout pas l’empereur d’Orient Théodose, le protecteur attitré de cette dynastie valentinienne dont le prétendu « suicidé » était le dernier rejeton.

Comme la guerre était inévitable et qu’Arbogast ne pouvait prétendre lui-même à la couronne impériale, le général franc se résigna à régner sous le nom d’un certain Eugène, un ancien et fort respectable professeur de rhétorique devenu maître des Offices.

Eugène étant un chrétien des plus tièdes, sans doute même un crypto-païen, le général et son impériale marionnette trouvèrent ingénieux de s’appuyer sur les tenants des anciens cultes polythéistes que les persécutions de Théodose et de Valentinien II, chrétiens fanatiques, avaient exaspérés. À Rome, on célébra en grandes pompes la restauration des anciens dieux ; sur le labarum (étendard) des légions, l’image d’Hercule remplaça le monogramme du Christ ; au Sénat, la statue de la Victoire fut remise en place ; et enfin, pour faire bonne mesure, le préfet du Prétoire Flavianus ordonna une purification de trois mois, afin de laver la Capitale impériale de toutes les profanations chrétiennes qu’elle avait eu à subir depuis des lustres.

Mais naturellement, si la restauration des anciens dieux de Rome valait de nombreux ralliements à Eugène (et à Arbogast), elle provoquait également l’union sacrée de tous les Chrétiens, toutes sectes confondues, orthodoxes et hérétiques, contre l’usurpateur et son copain, le soudard franc. Théodose eut beau jeu de présenter la lutte contre Eugène (et Arbogast) comme une guerre sainte, comme une « croisade » avant la lettre.

Cependant, quoique, comme adversaire, le falot Eugène ne valût pas tripette, Théodose était parfaitement conscient de la valeur militaire d’Arbogast. Il prépara donc soigneusement son expédition contre ce sérieux adversaire et rassembla sous ses drapeaux la fine fleur des plus sauvages peuplades d’Orient, des Goths, des Alains, des Arabes, des Huns… Arbogast, lui, de son côté, faisait confiance à ses congénères francs et à ses alliés Alamans. Quant aux vrais « Romains », ils n’avaient, on le voit, plus guère voix au chapitre !

Le choc entre les armées occidentales et orientales, entre les soldats païens et chrétiens, entre les Germains d’Arbogast et les Barbares exotiques de Théodose eut lieu aux environs d’Aquilée, sur les rives du Frigidus (le Wippach).

Le premier jour les armées d’Arbogast prirent l’avantage. Théodose se trouvait dans une situation délicate ; certains de ses généraux l’engageaient même à sonner la retraite. « Mieux vaut mourir pour Dieu que fuir devant les païens » répondit l’empereur d’Orient dédaigneux. Bien lui en prit : pendant la nuit, un général qu’Arbogast avait chargé de barrer la retraite à l’ennemi abandonna son poste et le parti de l’usurpateur Eugène : il passa avec armes, bagages et toutes ses troupes dans le camp de Théodose.

Au matin du deuxième jour, la situation s’était totalement retournée au profit des armées orientales, d’autant plus qu’un vent violent s’était levé, charriant des tonnes de poussières. Trahies, aveuglés et asphyxiés, les troupes d’Arbogast ne purent résister.

Eugène, prisonnier, eut la tête tranchée sur ordre de Théodose. Quant à Arbogast, qui n’avait trouvé de salut que dans la fuite, il se jeta sur son épée pour éviter de tomber aux mains du vainqueur et de ses sauvages alliés (6 septembre 394).