Théodose Ier « le Grand »

378 – 395
Théodose Ier « le Grand »
(Flavius Theodosius)

Théodose, né en Espagne vers 346, était fils d’un général qui s’appelait Théodose lui aussi, et qui vainquit les Barbares en Grande-Bretagne (367 – 370). Après avoir mis fin à l’usurpation du chef maure Firmus, ce Théodose Senior, soupçonné (injustement) de trahison, fut décapité à Carthage sur ordre de l’empereur Gratien (376).

Effet d’un remords tardif ? Dédommagement ? En janvier 379, Gratien éleva notre Théodose Junior, fils du raccourci de Carthage, au rang d’Auguste et lui confia le gouvernement de l’Empire d’Orient où son oncle Valens, venait être battu et tué par les Goths du Danube.

Il faut reconnaître que Théodose Junior accomplit loyalement et sérieusement la tâche que Gratien lui avait confiée. Refusant toute grande bataille, il profita habilement des dissensions qui naquirent entre les envahisseurs Goths après la mort de leur chef Athanaric pour contenir l’ennemi, dressant les tribus les unes contre les autres, achetant la retraite des barbares plus hostiles et incorporant d’autres hordes à sa propre armée. Effet pervers de cette politique : la majorité des commandements des légions « romaines » fut bientôt aux mains de ces Goths à peine « romanisés ».

En 382, la situation militaire de l’Empire romain d’Orient était rétablie. L’année suivante (383), pour asseoir solidement sa dynastie, Théodose éleva son fils Arcadius, âgé d’à peine trois ans, à la dignité d’Auguste (co-empereur).

SI Théodose y avait donc plutôt « été mou » avec les ennemis extérieurs, son comportement envers les opposants intérieurs, politiques et/ou religieux fut empreint de nettement moins de douceur.

Farouche partisan des thèses du concile de Nicée, Théodose imposa autoritairement les canons nicéens et, par conséquent, combattit énergiquement l’arianisme. À peine arrivé dans sa capitale de Constantinople, il convoqua le patriarche arien et le somma de choisir entre une conversion à l’orthodoxie et un exil rigoureux. L’opiniâtre prélat choisit l’exil. Déployant alors ses troupes aux alentours et dans la cathédrale même, Théodose, qui venait tout juste d’être baptisé, intronisa Grégoire de Naziance, un chrétien orthodoxe fanatique, à la place de l’évêque hérétique exilé. Ensuite, Théodose envoya l’armée aux quatre coins de ses domaines pour forcer, sous peine de mort, tous les ariens à la soumission. Les églises hérétiques furent détruites et les livres sacrés de la secte livrées aux flammes en de joyeux holocaustes.

Enfin, en 381, pour célébrer le triomphe de l’orthodoxie nicéenne, l’empereur convoqua à Constantinople, sans l’assentiment du pape, un beau concile œcuménique (le 2e de Constantinople) qui confirma le dogme de Nicée et reconnut, la suprématie du pontife romain tout en accordant une primauté d’honneur au patriarche de Constantinople, évêque de « la Nouvelle Rome ».
Il faut dire qu’un an auparavant (e 27 février 380), par l’édit de Thessalonique, l’empereur Théodose, avait, pour la première fois, reconnu de manière officielle la primauté romaine. Rien d’inattendu là-dedans : Théodose, romain occidental d’origine espagnole, nommé par l’empereur d’Occident Gratien, assurait l’unité religieuse de l’Empire en donnant la primauté au primat d’Occident, c’est-à-dire au Pape, et non à l’évêque d’Alexandrie, à celui d’Antioche ou à celui de Constantinople.

Les Ariens ne furent pas les seuls à encourir la rage inquisitoriale de Théodose. Les hérétiques de tout poil eurent aussi à subir ses foudres ! En quinze années de règne, l’empereur allait promulguer pas moins de quinze édits de persécution. Un par an.

Vers 385, la situation militaire recommença à se gâter. Bientôt Théodose allait être contraint de quitter Constantinople pour mettre son long nez dans les affaires occidentales.

Révoltées contre l’empereur d’Occident Gratien, les légions de (Grande-)Bretagne avaient proclamé empereur leur commandant en chef Maxime (Magnus Maximus). Celui-ci arma une flotte et envahit la Gaule. Toutes les forces de Gratien se rallièrent aussitôt à lui avec un enthousiasme touchant. L’empereur d’Occident, pris de panique, s’enfuit précipitamment de Paris, accompagné seulement de quelques cavaliers qui lui étaient restés fidèles. Toutes les villes lui fermèrent leurs portes à l’exception de Lyon. C’est là que des tueurs à la solde de Maxime le rejoignirent et l’égorgèrent. (25 août 383).

Le premier soin de Maxime fut de tenter de se faire reconnaître par son compatriote Théodose, qui gouvernait l’Orient romain. Il y parvint sans trop de peine. En effet, à ce moment, l’empereur d’Orient était bien trop affaibli par sa guerre contre les Goths pour songer à venger ce Gratien à qui il devait sa couronne impériale.

Cette paix précaire assura à l’usurpateur la libre possession de la (Grande-)Bretagne, des Gaules et de l’Espagne. Quant à Valentinien II, le (demi-)frère cadet de Gratien, il garda l’Italie et l’Afrique (du Nord). Il n’avait encore que douze ans et ce fut Justine, sa mère, qui gouverna son « Empire-croupion » à sa place.

Pas pour longtemps.
Maxime se mit à lorgner vers les territoires que détenait encore le dernier représentant de la dynastie valentinienne. Il est vrai que la conjoncture politique lui était on ne peut plus favorable : l’impératrice-mère Justine, une arienne fanatique et le très orthodoxe évêque Ambroise de Milan ne pouvaient plus se voir en peinture. L’irritable prélat suscitait quotidiennement de violentes émeutes contre l’impératrice, tandis que, de son côté, l’hérétique Justine ruminait de sombres projets d’assassinat de l’évêque et de massacre de ses partisans.

Un édit de tolérance, promulgué par Justine et qui mettait ariens et catholiques sur le même pied, sembla quelque peu désamorcer la crise, mais cette accalmie fut de courte durée. Du haut de sa chaire, Ambroise recommença de plus belle à inciter ses ouailles à la désobéissance civile, appelant de tous ses vœux quelque intervention céleste qui sauverait l’orthodoxie du péril mortel que constituaient le jeune empereur et son abominable hérétique de mère !

Ce ne fut pas le ciel qui entendit la supplique de l’archevêque de Milan, mais l’usurpateur Maxime. Contrefaisant la plus stricte orthodoxie et fort du soutien des partisans d’Ambroise, il envahit l’Italie (387). Valentinien et sa mère ne purent résister à ce raz-de-marée. Ils s’enfuirent en Orient afin de demander justice et réparation à l’empereur Théodose, allié et débiteur de la famille Valentinienne.

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Théodose ne resta insensible ni aux pleurs du jeune Valentinien ni, dit-on, aux charmes de sa mère Justine. Posant comme seul préalable à son intervention en Italie l’abandon de leurs croyances hérétiques (car Théodose était un bon catholique), il s’engagea à rétablir le jeune empereur sur son trône.

L’hiver 387 – 388 se passa en préparatifs militaires. Au printemps, ayant rassemblé toutes les forces de l’Orient, tant romaines que barbares, Théodose attaqua l’usurpateur Maxime.

L’empereur romain d’Orient s’était préparé à une campagne longue et éprouvante, mais deux mois seulement suffirent à abattre l’assassin de Gratien. Sur la Save (affluent du Danube), les cavaliers Alains, Huns et Goths de Théodose eurent raison des Germains et des Gaulois de Maxime. L’usurpateur s’enfuit du champ de bataille, voulut se réfugier dans la place forte d’Aquilée, mais fut livré à l’empereur d’Orient qui le fit exécuter.(Août 388).

Théodose pénétra en triomphateur à Milan et rétablit son jeune protégé dans ses fonctions impériales. L’évêque Ambroise qui avait, prudemment, évité de soutenir Maxime, ne fut pas inquiété. Il est également vrai que Valentinien II et sa maman lui avaient ôté toute raison de râler puisqu’ils avaient abjuré l’hérésie arienne.

Ayant envoyé Valentinien II en Gaule, Théodose se réserva l’administration de l’Italie et séjourna à Milan.
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Théodose était peut-être un bon général. On peut cependant douter de ses qualités d’homme d’état… voire même, tout simplement. lui dénier toute humanité. Il cachait en effet sous ses faux airs de bon chrétien dévot (voire fanatique) un tempérament cruel et sanguinaire.

L’affaire de Thessalonique (390) en est le meilleur exemple :

Un certain Botheric, sans doute d’origine barbare mais néanmoins gouverneur de la ville de Thessalonique, possédait un esclave, particulièrement joli garçon, dont (nous sommes en Grèce) la beauté fatale suscita la concupiscence effrénée d’un aurige adulé des spectateurs du cirque. Le cocher ne put réfréner ses désirs coupables et viola le jeune homme. Botheric, sans doute jaloux, emprisonna le violeur. Mais le peuple ne put tolérer qu’on touche à un seul cheveu de son idole, qu’on maltraite son chouchou, la perle du cirque. Il se révolta et mit littéralement en pièce le pauvre Botheric et plusieurs de ses officiers.

Théodose, on ne sait trop pourquoi, vit rouge. Sous prétexte de jeux exceptionnels, on attira une foule de Thessaloniciens dans l’amphithéâtre de la ville, et, pendant trois longues heures, l’armée, qui avait fait irruption dans l’arène, se mit à massacrer systématiquement les spectateurs. Dix à quinze mille innocents, hommes, femmes et enfants furent égorgés. Un chiffre exagéré ? Pas du tout, le méthodique Théodose avait rigoureusement planifié le massacre. Chaque soldat, sa sinistre besogne accomplie, était même tenu de présenter à son supérieur, comme preuve de son ardeur à l’ouvrage, son « quota » de têtes coupées, encore sanglantes.

Saint Ambroise de Milan, la conscience de la Chrétienté, se limita à faire un grand doigt à Théodose : Oh ! il n’avait pas été gentil, le vilain Théodose ! Il devait immédiatement faire pénitence et réparer ce crime prémédité, le vilain !
Une confession publique, dans la cathédrale de Milan, aux pieds de l’évêque triomphant suffit à rendre blanche comme neige son âme souillée.

Mais Théodose n’était pas l’homme des demi-mesures. Sa pénitence complète, il la fit sur le dos de ses sujets ! Il renforça ses lois à l’encontre des hérétiques. On alla même jusqu’à punir de mort les infâmes criminels qui célébraient Pâques à une autre date que celle qu’avait imposée le concile de Nicée, horrible forfait !

Théodose alla encore plus loin : au cours des années suivantes, il publia une série d’édits qui interdisaient définitivement le culte des dieux. Le 24 février 391, il signa à Milan une loi qui prohibait le paganisme en Italie. Le 10 juin 391, il en promulgua une autre visant l’Égypte. Et enfin, le 8 novembre 392, une constitution, publiée à Constantinople, généralisa à tout l’Empire les mesures édictées précédemment ; partout, toute manifestation, tant publique que privée, des cultes présumés « idolâtres » était désormais strictement interdite. Bref, le paganisme était hors-la-loi.

Ce dernier édit, que les historiens chrétiens présentent aujourd’hui encore comme une bénédiction, fut, en fait, l’occasion d’un gigantesque pogrom anti-païen.
Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, la haine des Chrétiens pour l’ancienne civilisation se manifesta.

En Gaule, le bon saint Martin de Tours, celui qui se contentait d’un demi manteau en hiver, parcourait les campagnes, accompagné d’une horde de moines incultes et fanatiques, détruisant tous les symboles de l’ancienne religion et convertissant les maudits païens récalcitrants à coups de gourdin.

À Alexandrie d’Égypte, ce fut carrément la guerre civile. L’avide évêque Théophile, impatient de s’emparer des richesses du Temple de Sérapis, fit donner l’assaut à l’édifice que défendaient quelques païens déterminés. Le temple fut détruit et les païens massacrés par des hordes de moines crasseux venus des quatre coins du désert. Tout l’or des statues, fondu, s’en alla remplir le trésor épiscopal…

Pour faire bonne mesure, ces fanatiques pillèrent aussi la magnifique bibliothèque, brûlant les livres qui témoignaient du génie et de la sagesse de la civilisation qui s’écroulait.

« Qu’est-ce que cette bande ? » – « Eh bien des solitaires ! »
– « Comment ? Par milliers ? Bons dieux ! les mots s’altèrent. »

écrivit le poète païen Palladas à propos de ces anachorètes pouilleux qui, venus de nulle part, ravageaient sa belle cite d’Alexandrie.

Du même Palladas encore, ces vers désabusés sur la mort des vieux dieux et les violences chrétiennes :

J’ai vu Hercule en rêve. « Ah ! lui dis-je, déchus
Tes honneurs » – « Peuh ! dit-il, apprends que même un dieu
S’arrange comme il peut en ces siècles fichus. »

et :

Les dieux sont las de nous, nous Grecs, et tout s’enfonce
Chaque jour un peu plus. La Rumeur, étant femme
Et déesse, nous trompe aussi. Quand, troublant l’âme,
Quelque bruit redoutable est dans toutes les bouches,
Il est vrai. Attends-toi aux lendemains farouches.
Mais le pire, qui vient, viendra sans qu’on l’annonce.

(Palladas, traduit par Marguerite Yourcenar, La Couronne et la Lyre, Gallimard, 1979)

À Rome, Théodose imposa, à l’instigation du pape Sirice, un serment solennel aux sénateurs romains. Ils devaient renoncer à Jupiter et jurer fidélité au Christ.
Les vénérables Pères conscrits s’exécutèrent, espérant une revanche…

Celle-ci n’allait pas tarder.

Le 15 mai 392, le chef des armées romaines d’Occident, un Franc païen nommé Arbogast assassina l’empereur Valentinien II, à qui Théodose avait abandonné le gouvernement des Gaules et qui séjournait (plus prisonnier qu’empereur) à Vienne. Arbogast remplaça le dernier rejeton de la dynastie valentinenne par Eugène, ancien professeur de rhétorique devenu maître des Offices. Eugène, lui aussi, était païen.

Confrontés à l’hostilité de Théodose (qui était le beau-frère de l’empereur Valentinien assassiné), Arbogast et Eugène n’eurent d’autre recours que de s’appuyer sur le parti païen. En 392, la restauration du culte des anciens dieux fut proclamée à Rome.

Mais l’allégresse des païens ne fut qu’un feu de paille. Les armées de Théodose, composées de barbares goths, écrasèrent les franco-romains d’Arbogast et d’Eugène à Aquilée, en 394. Arbogast se jeta sur son épée, tandis qu’Eugène, livré à Théodose, eut la tête tranchée sur ordre de l’empereur vainqueur.

Théodose avait, une dernière fois, rétabli l’unité de l’Empire romain et fait, définitivement, triompher la Croix. Il pouvait mourir, sa tâche était accomplie.

C’est ce qu’il fit le 17 janvier 394.

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Avec sa mort, c’en était certes fini du paganisme, mais aussi de l’unité de l’Empire. Celui-ci fut divisé entre les deux fils insignifiants du dévot Théodose. L’incapable Honorius (11 ans) gouvernerait l’Occident et le faible Arcadius (13 ans) l’Orient.

Jamais plus un empereur unique ne règnerait sur l’ensemble du monde romain.