Julien

361 – 363
Julien (dit « l’Apostat« )

(Flavius Claudius Julianus)

Sur son lit de mort, Constantin le Grand, tyran cruel et sanguinaire, se convertit à la religion chrétienne. Anxieux à l’idée de ne pas comparaître « blanc comme neige » devant le Tribunal Céleste, il aurait demandé à l’évêque Ozius : « Existe-t-il une expiation capable d’absoudre tous mes crimes ? » Et l’évêque de répondre : « Aucune, excepté le baptême chrétien ! ». Le despote fit donc trempette dans l’eau baptismale et rendit sa vilaine âme au Diable.

Tout aussi cruel, Constance II, fils et successeur de Constantin, ordonna, dès son avènement, le massacre de toute sa parenté. Tous les oncles et les neveux du nouvel empereur furent égorgés par la soldatesque déchaînée. Seuls Julien et Gallus, son frère aîné, échappèrent à l’hécatombe, sauvés par un prêtre chrétien moins sanguinaire que les autres.

Julien, c’était le fils de Jules Constance (Julius Constantius), lui-même fils de l’empereur Constance Chlore. Julien et son frère Gallus étaient donc les derniers rejetons de branche aînée, et légitime, de la deuxième dynastie flavienne, tandis que Constantin le Grand, né des amours ancillaires de Constance Chlore et de sa servante Hélène (Ste Hélène), ne représentait que la branche cadette (et bâtarde) de cette famille.
Constantin et ses fils possédaient donc moins de droits au titre impérial que Julien. Dès lors, on comprend mieux pourquoi l’empereur Constance tenta, par tous les moyens, de détourner ce jeune garçon de toute ambition politique, le poussant même à embrasser la carrière ecclésiastique.

Julien passa sa jeunesse à Nicomédie, puis dans la forteresse de Macellum en Cappadoce, constamment surveillé par des prêtres chrétiens dévoués à Constance.

Le 15 mars 351, Constance, qui devait faire face, à la fois à l’usurpation de Magnence en Gaule et à l’invasion perse en Orient, éleva Gallus, frère de Julien à la dignité de César (empereur adjoint).
Gallus, qui venait d’épouser Constancia, la sœur de Constance, une véritable mégère, devait résider à Antioche et veiller au bon déroulement des opérations militaires contre les Perses.
Julien, lui, fut autorisé à quitter sa forteresse de Cappadoce pour aller étudier à Constantinople, puis à Nicomédie… Constance n’avait pas encore renoncé à son espoir de le voir revêtir le froc monacal.

Mais Gallus, fort mal conseillé par sa harpie d’épouse, se conduisit fort mal. Grisé par son titre de César, il pensait n’avoir plus de comptes à rendre à personne. Il rançonnait et faisait exécuter sans jugement les notables d’Antioche. Il avait même fait assassiner le conseiller que l’empereur, méfiant, avait envoyé en Orient pour enquêter sur ses agissements. Or Constance, qui, sur ces entrefaites, s’était débarrassé de l’usurpateur Magnence, n’était pas homme à laisser une telle insubordination impunie. Une lettre doucereuse parvint au « César d’Orient » qui l’invitait à se rendre à Milan pour conférer avec son impérial collègue d’une nouvelle répartition de leurs charges respectives.

Gallus, qui ne se doutait de rien, se mit en route. En chemin, il fut appréhendé par les eunuques de l’empereur, enchaîné et égorgé sans autre forme de procès (décembre 354).

Julien fut également rappelé d’urgence à Milan.
Jeté dans un cachot, sa vie ne tenait qu’à un fil. Heureusement l’impératrice Eusébie parvint à éveiller quelques bribes de remords chez Constance. Si leur union restait stérile, insinua-t-elle à son impérial époux, c’est que Dieu les punissait. Leur couple n’aurait pas d’enfant, et l’empereur n’aurait pas d’héritier de son sang tant qu’il n’aurait pas réparé ses torts à l’égard de la famille flavienne !

julien philosophe

Julien

gallus

Le discours moralisateur d’Eusébie porta ses fruits. Constance épargna la vie de son cousin et Julien put se rendre à Athènes… La ville des philosophes ! Son rêve ! (Été 355).

Le 6 novembre 355, Julien, une nouvelle fois convoqué à Milan par son cousin Constance, fut à son tour nommé César et préposé à la défense des Gaules.
On ne connaît pas clairement les raisons de cette nomination. Sans doute Constance espérait-il secrètement que Julien, s’il ne trouvait pas la mort sous les coups des féroces Germains, commettrait quelque imprudence politique, ce qui lui permettrait de l’éliminer en toute légalité, sans scrupules religieux excessifs et sans encourir les reproches acerbes de son épouse. Dans le dessein de discréditer son nouveau collègue, Constance ne lui avait d’ailleurs conféré que des pouvoirs symboliques et avait truffé son entourage d’espions à son solde.

Fait totalement inattendu, le jeune philosophe se révéla un excellent chef de guerre. Il écrasa les Alamans à la bataille de Strasbourg (357), repoussa les barbares outre-Rhin et mit fin aux incursions pillardes des Francs en Belgique. Il osa même pénétrer jusqu’au cœur des forêts de Germanie, là où aucune armée romaine ne s’était aventurée depuis l’époque de Trajan et où aucune ne s’aventurerait plus après lui.

Bref le César « Julien » travailla si bien qu’en 359, « l’imperium romanum » était rétabli des Pyrénées au Rhin.

Entre-temps, sa femme Hélène, la sœur de l’empereur Constance, mourut, sans doute empoisonnée sur ordre de l’impératrice Eusébie. L’épouse de l’empereur, pourtant protectrice avérée de Julien, mais qui n’avait toujours pas d’enfant, n’avait pas digéré la grossesse de sa belle-sœur, enceinte des œuvres de ce Julien qui lui devait tout.

En 360, Constance voulut réquisitionner les soldats gaulois de Julien pour sa campagne contre les Perses. C’était, en somme, une décision logique : puisque la Gaule était pacifiée, il n’y avait nul besoin d’y maintenir tant de troupes. D’autant plus, qu’en Orient, avec ces Perses plus agressifs que jamais, ça bardait sérieusement ! Mais les légionnaires gaulois refusèrent d’obtempérer. Ils n’avaient nulle envie de risquer leur peau dans les déserts mésopotamiens sous le commandement d’un aussi piètre chef de guerre que Constance. Rassemblés à Lutèce (Paris), les soldats se révoltèrent et proclamèrent Julien empereur en l’élevant sur un bouclier, à la mode franque. (Février 360)

julien soldat, julien l’apostat

Julien dit l’Apostat

Malgré les tentatives de conciliation de Julien, l’empereur refusa de s’entendre avec son cousin révolté. Il alla même jusqu’à soudoyer des tribus germaniques afin qu’elles franchissent le Rhin et attaquent Julien, alors qu’il était encore retranché en Gaule. Le ressentiment de Constance à l’encontre de son cousin le menait jusqu’à la trahison !

Julien refusa de se laisser enfermer en Gaule : cette stratégie avait déjà été fatale à l’usurpateur Magnence ! À la tête de ses légions gauloises, il franchit les Alpes. Ensuite il scinda son armée en deux : un fort contingent s’en alla conquérir l’Italie pour son compte, tandis que lui, avec le reste de son armée, se dirigeait vers le Bosphore à la rencontre de Constance qui remontait vers le Nord après avoir bâclé une trêve avec le roi des Perses.

Constance mourut avant l’affrontement. Aussitôt, Julien fut reconnu comme seul souverain de l’Empire. (3 novembre 361).

À ce moment déjà, il avait abandonné la religion chrétienne.
Revenu au « paganisme » de ses ancêtres, ce Julien que les Chrétiens appelèrent désormais « l’Apostat » rédigea plusieurs livres apologétiques à la gloire des vieux dieux ainsi que d’autres, polémiques, contre diverses sectes philosophiques et, naturellement, contre le christianisme.

Notons à ce sujet que son traité « Contre les Galiléens » (= les Chrétiens) est à peu près totalement perdu. Il n’en reste que des bribes difficilement exploitables. Même les réfutations qu’en ont faites les Chrétiens contemporains ont été soigneusement expurgées. Un véritable brûlot, une machine de guerre que ce bouquin !
Pour montrer le ton de l’ouvrage, voici un des rares extraits qui en subsistent : « Il me semble bon d’exposer à tous les hommes les raisons qui m’ont persuadé que la machination des Galiléens n’est qu’une fiction humaine, forgée par le vice. Bien que cette fourberie n’ait rien de divin, elle a dupé la partie de notre âme qui aime les fables, qui est puérile et insensée, et elle lui a fait ajouter foi à ces monstruosités » (Julien, Contre les Galiléens, trad. de Christopher Gérard, Éd. Ousia, 1995).

Dès 361, l’empereur Julien promulgua un édit imposant la tolérance universelle, tant à l’égard des anciens cultes païens que pour les sectes et hérésies chrétiennes.
Certains voient dans cette mesure une arme pour affaiblir le Christianisme. C’est possible, mais on peut aussi penser que l’empereur souhaitait uniquement renforcer l’unité idéologique de l’Empire avant sa grande guerre contre les Perses (du 1er mars jusqu’au 26 juin 363).

Les historiens chrétiens pensent que Julien, s’il avait régné plus longtemps, aurait persécuté les Chrétiens.

Avec des si…

julien en enfer

Il est cependant vrai que, puisque toute religion porte nécessairement en elle les germes de l’intolérance et au fanatisme… Et Julien était bien un mystique. Un mystique païen, certes… mais un vrai mystique quand même, absolument convaincu de la Vérité de sa Foi, du bien-fondé de ses convictions, de l’utilité de sa politique religieuse… et de la réalité de ses visions. De plus, au cours de son bref règne, ,Julien avait déjà dû faire appel à toutes les ressources de sa philosophie pour garder son sang-froid face aux innombrables provocations chrétiennes.

Quelles provocations ? Citons, entre autres :

Profanation puis incendie du temple de Daphné, près d’Antioche où il résidait ;
Sabotage des travaux de reconstruction du Temple de Jérusalem ;
Destruction du temple de la Fortune à Césarée de Cappadoce ;
Destruction à Pessinonte, sous ses propres yeux, de l’autel de Cybèle, mère des dieux, une divinité à la gloire de laquelle il avait composé un magnifique traité, un des plus beaux que l’Antiquité nous a transmis…

Cependant, Julien ne se vengea de ces affronts (voire de ces crimes) que par un pamphlet génial, le Misopogon (= « L’Ennemi de la Barbe »). Cette satire mordante, autant dirigée contre sa propre personne que contre les frivoles habitants d’Antioche, constitue un véritable chef d’œuvre ! Un document psychologique de tout premier ordre. Aussi important (et certainement de lecture beaucoup plus agréable) que les célèbres « Confessions » du sinistre saint Augustin.

Ici encore, je ne puis résister à vous livrer un extrait de cet ouvrage exceptionnel, ne serait-ce que pour vous inciter à lire « plus oultre ».
Voici comment l’empereur, un maudit païen rappelons-le, s’adresse aux perfides citoyens d’Antioche : « Quant au flot d’insultes que vous avez déversé contre ma personne dans vos couplets satiriques, tant en privé qu’en public,je vous autorise, en venant – comme je l’ai fait – de m’accuser moi-même, d’user encore dans ce domaine d’une plus grande franchise. Non, jamais je ne vous ferai pour cela le moindre mal : ni exécution, ni flagellation, ni fers, ni prison, ni punition. À quoi bon ! Puisque cette démonstration que, mes amis et moi, nous venons de donner d’une vie vertueuse, est pour vous dénuée de tout intérêt et parfaitement inopportune (…) j’ai décidé de quitter cette ville et de m’éloigner. Non que je sois convaincu, assurément, de plaire en tous points à ceux chez qui je me rends, mais parce que j’estime préférable, dans le cas où je n’obtiendrais pas chez eux la réputation d’homme de bien, de faire bénéficier chacun à tour de rôle de mon fâcheux caractère ». (Julien, Misopogon, 37. Trad. Christian Lacombrade, Éd. « Les Belles Lettres », 1964).

Cela dit, et bien que je ne sois ni psychiatre ni psychologue, il me paraît évident que ce pamphlet du Misopogon, dernière œuvre de l’empereur, montre clairement qu’avant son départ pour l’expédition contre les Perses, Julien était, littéralement, à bout de nerfs. On peut donc se demander quelle aurait été son attitude s’il était rentré vivant de cette campagne militaire. S’il revenait après avoir triomphé de ses ennemis, il aurait sans doute « passé l’éponge » sur ces crimes. Dans le cas contraire, on peut croire que cet homme, nerveusement brisé, aurait rendu haine pour haine, et fait très chèrement payer aux Chrétiens toutes leurs trahisons, passés et à venir, réelles ou supposées.

Comme sous son prédécesseur Constance, « l’Affaire Athanase » fut le grand problème chrétien du règne de Julien (Pour début de l’affaire, cliquez ici)

En se réfugiant au plus profond du désert égyptien, chez les ermites de Thébaïde, Athanase, évêque d’Alexandrie et véritable forban, avait réussi à sauver sa peau après la victoire des ariens sous Constance.
L’édit de tolérance de Julien permit son retour.
Georges de Cappadoce (notre saint Georges), l’évêque arien qui le remplaçait sur le trône patriarcal, fut massacré par la foule et les lambeaux de son corps jetés dans le Nil. Il est vrai que c’était, lui aussi, un homme détestable, profanateur avide des trésors sacrés des temples de l’ancienne Égypte.

À peine ré-assis sur son trône patriarcal, Athanase, qui se considérait comme le véritable chef de la chrétienté, convoqua, avec l’approbation du pape Libère, un synode qui permit le retour sans condition dans la communion de l’Église des prélats qui avaient souscrit aux canons des conciles de Rimini et de Constantinople et qui vouaient les ariens aux gémonies. Ce fut le début de la fin de l’arianisme dans l’Empire romain.

Mais l’empereur Julien, qui, grâce aux archives impériales, avait pris connaissance du passé trouble d’Athanase et de sa condamnation par quatre conciles, s’indignait de voir un criminel comme lui usurper un siège épiscopal aussi éminent qu’Alexandrie. Il ordonna donc la destitution et le bannissement hors d’Égypte d’Athanase. Profitant d’un moment d’hésitation du gouverneur romain, le patriarche, prudent, retourna dans son ermitage du désert.
C’est là qu’il attendrait que Julien, l’antéchrist, crève.

Cette mort, il l’avait prédite. Et comme il faut toujours donner un coup de pouce aux prédictions, il avait également commandité le meurtre en promettant la gloire éternelle, la rémission de ses péchés et toutes les joies du Paradis à un « Fedayin » fanatisé, un soldat chrétien naïf qui allait accompagner l’empereur apostat dans sa grande expédition en Mésopotamie.

Le 26 juin 363, lors de la bataille décisive contre les Perses, Julien fut assassiné, frappé par une lance provenant de l’arrière, des lignes romaines… Un soldat chrétien avait vengé la « persécution » d’Athanase et réalisé sa prophétie. « Le Charpentier (=Jésus) prépare un cercueil (pour Julien) », avait annoncé le patriarche d’Alexandrie aux foules fanatisées qui venaient le visiter dans son église du désert.

La lance atteignit l’empereur au niveau du foie. L’arme étant hérissée de tranchants, Julien en tentant de la retirer, se déchira les mains. « Ses trais émaciés, son flanc transpercé, ses mains ensanglantées, il offrait une ressemblance étrange avec le Crucifié » (Benoist-Méchin, Julien ou le Rêve Calciné).

On prétend que Julien, mourant, aurait lancé au ciel quelques gouttes de son sang en s’écriant : « Tu as vaincu, Galiléen ! ».

NB : Je sais parfaitement que la plupart des historiens modernes doutent fort (et c’est un euphémisme) que l’empereur Julien, mourant, ait prononcé ces mots. J’admets volontiers leurs savants arguments, mais il n’en reste pas moins vrai que cette invective a « de la gueule « … surtout si Julien se savait assassiné par un chrétien ! (Ce qui, d’ailleurs, est pure conjecture de ma part puisque, bien évidemment, il n’y a aucune preuve formelle !).
Quoi qu’il en soit, apocryphe ou non, cette phrase doit, à mon avis, avoir traversé l’esprit de l’empereur quand, blessé à mort, il s’écroula de son cheval de bataille. De plus elle s’inscrit fort bien dans la mentalité volontiers excessive et lyrique des hommes de l’Antiquité tardive.