constance le chlore

Constance Ier Chlore

293 – 306
Constance Ier « Chlore »
(Marcus Flavius Valerius Constantius)

Contrairement à ce que pourraient penser mes concitoyens de la charmante petite localité de Rochefort (Belgique) qui ont l’amusante manie de donner du « blanc » à leurs interlocuteurs (« Bonjour, m’blanc ! – Ça va, m’blanc ? »), ce surnom Chlore (= « le Pâle », « le Blanc ») dont Constance était affublé atteste davantage de son teint pâlot que de ses origines wallonnes. Aujourd’hui, nous le nommerions Constance l’Endive, mais il faut avouer que « ça en jette » nettement moins que Chlore !
constance chlore

Comme à peu près tous les empereurs de cette époque, Flavius Julius Constantius Chlorus était d’origine balkanique. Il naquit vers 250 dans une pauvre famille des rives du Danube. Plus tard, des historiens flagorneurs prétendront que notre Chlore était, en fait, l’arrière-neveu de Claude le Gothique, en l’occurrence le petit-fils du frère cadet de cet empereur, un certain Crispus. (Voir tableau généalogique). Cette légende, créée au début du IVe afin d’anoblir la très plébéienne sève de l’arbre généalogique de Constantin, fils de Constance, est dénuée de tout fondement historique.

Comme beaucoup de jeunes gens pauvres de ces contrées danubiennes où l’esprit patriotique romain frisait le fanatisme, le blanc Constance s’engagea jeune dans l’armée et y fit une fort belle carrière. Dans les années 280, il était Præses (= gouverneur) de Dalmatie (auj. en Croatie). C’est également dans vers cette époque qu’il rencontra une fille d’auberge nommée Hélène, la future sainte Hélène. On ne sait si Constance épousa vraiment la pieuse donzelle ou si elle resta sa concubine, mais, en tout état de cause, elle lui donna un fils : Constantin

En 288, Constance devint le Préfet du Prétoire de Maximien Hercule. Cette promotion faisait de lui le deuxième personnage des provinces occidentales de l’Empire (Espagne, Gaule, Italie, Bretagne), ces contrées dont Dioclétien avait confié la défense à son camarade Maximien.

Le 1er mai 293, Dioclétien décida d’adjoindre deux Césars, c’est-à-dire deux empereurs-adjoints, aux deux Augustes régnants (lui-même et Maximien). C’était l’instauration de la Tétrarchie, ce gouvernement de quatre souverains que Dioclétien estimait indispensable pour assurer à la fois la sécurité des frontières et la stabilité du régime. Dioclétien s’attacha les services de Galère, tandis que, tout naturellement, Constance Chlore, qui était déjà le « bras droit » de Maximien, était adopté par lui et devenait à la fois son César et son successeur putatif.

Dioclétien songea également que ce serait une bonne chose que d’unir les Augustes et les Césars par des liens familiaux. Galère épousa donc sa fille Valéria tandis que Constance se voyait contraint de répudier sa belle Hélène pour convoler avec Théodora, la fille aînée de Maximien.

Ce fut sans doute un mariage de raison, mais il n’en fut pas moins prolifique puisque six enfants en naquirent : trois fils (Flavius Dalmatius, Hannibalien, Jules Constance) et trois filles (Constantia, Anastasia et Eutropia). (Voir : Tableau généalogique).

Comme César d’Occident, Constance Chlore s’employa surtout à régler définitivement l’affaire Carausius, un problème dont Maximien, faute de temps (et peut-être de capacités), n’avait jamais pu venir à bout.

Carausius était un général d’origine ménapienne (tribu belge du Nord des Flandres). Il était ambitieux, audacieux et sans scrupules. Nommé par Maximien commandant de la flotte de Bretagne, basée à Boulogne, l’amiral Carausius était surtout censé empêcher les incursions des pirates francs en Gaule et en Bretagne. Pour cela il devait, naturellement, les contenir en Mer du Nord, donc les arrêter avant qu’ils ne pénétrassent dans la Manche pour se répandre partout dans les riches provinces gauloises. Mais notre amiral ménapien adopta une tactique peu commune : les pirates, il les laissait passer au large de Boulogne et piller à leur guise les provinces gauloises. Ce n’est qu’au retour qu’il les attaquait, quand, leurs barques alourdies de butin, ils tentaient de regagner leurs repaires. Carausius faisait alors main basse sur tous ces trésors et, ainsi, l’or pillé en Gaule se retrouvait comme par enchantement dans ses insondables coffres.

theodora

Maximien tenta bien de mettre le holà à ces pratiques désastreuses pour l’image de l’armée romaine. Carausius fut condamné à mort. Mais cela ne servit à rien ! Les blâmes et les états d’âme de Maximien, il s’en battait l’œil (avec une frite) notre « ancien Belge » d’amiral ménapien ! Lui, il avait de l’or à revendre et, il l’utilisa judicieusement : il soudoya les soldats des légions de Grande-Bretagne et se fit proclamer empereur.

Dioclétien et Maximien, fort occupés sur d’autres fronts, furent bien forcés d’entériner le fait accompli. Mordant sur leur chique, et de fort mauvais gré, ils reconnurent la souveraineté de Carausius sur la Bretagne… « Mais, songeaient-ils in petto, tu ne perds rien pour attendre, maudit escroc ! »

La désignation de Constance Chlore comme César allait radicalement changer la donne. Chargé par Maximien de régler définitivement son compte à Carausius, Constance commença par liquider la tête de pont continentale de l’empire-pirate ennemi. Pendant l’été 293, il repoussa au-delà du Rhin les alliés francs de l’empereur breton puis mit le siège devant le port de Boulogne (Gesoriacum). La ville fut prise après un siège très éprouvant.

Ce grave revers porta un coup fatal à l’usurpateur Carausius : ses propres soldats se révoltèrent contre lui et l’assassinèrent. Cependant, la mort de Carausius et la prise de Boulogne n’affaiblissaient l’Empire breton que d’un seul homme et d’un seul port. Allectus, le principal lieutenant de l’empereur défunt (et sans doute son assassin), prit aussitôt la succession de son chef (de sa victime), puis rapatria en Bretagne les légions les plus combattives ainsi que sa flotte intacte. Constance n’avait qu’à bien se tenir : outre-Manche, on l’attendait de pied ferme !

carausius

Le blanc César de Maximien prit son temps. Mieux valait en effet de pas se lancer tête baissée dans cette expédition « outre-mer ». La puissante flotte d’Allectus patrouillait constamment dans la Manche, et comme, d’autre part, le Nord de la Gaule n’était pas encore pacifié, Constance risquait fort de se trouver dans de sales draps si une révolte éclatait sur ses arrières tandis qu’il combattait en Bretagne. Avant de s’embarquer, il prit donc le temps de consolider sa position sur le continent, nouant des alliances avec les derniers partisans de feu Carausius, ou les éliminant.

Ce n’est qu’en 296 que la flotte de Constance appareilla de Boulogne à destination de la (Grande-)Bretagne. Elle était composée de deux escadres, l’une placée sous le commandement du César d’Occident en personne, l’autre sous celui de son préfet du prétoire, qui répondait au doux nom d’Asclépiodote.

Pas de chance ! Un épais brouillard, à couper au couteau, s’était répandu sur la Manche et la Mer du Nord. On ne voyait pas le bout de son nez ! Parlant de pif, Constance en manqua totalement : son escadre se perdit, et, piteuse, fut contrainte de rebrousser chemin. Mais heureusement, cette purée de pois qui avait tant desservi le César Chlore fut l’alliée la plus précieuse de son Asclépiodote de lieutenant. Celui-ci profita de ces circonstances atmosphériques calamiteuses pour se glisser en catimini entre les navires d’Allectus puis pour débarquer sur les Côtes bretonnes. Ni vu ni connu, je t’embrouille !

Conséquence de la déconvenue de Constance : il revint à l’armée d’Asclépiodote d’affronter seule celle d’Allectus… et audit Asclépiodote de récolter les lauriers de la victoire : l’usurpateur breton, qui n’était pas un foudre de guerre, fut battu à plates coutures. Il périt au cours de l’engagement.

Cependant, même si, à cause du brouillard, le plus gros de la flotte de Constance avait fait demi-tour, quelques-uns de ses navires avaient quand même réussi à effectuer la traversée. Ils accostèrent dans le Sud-est de la Bretagne. Une fois que les « marines » romains eurent repris leurs esprits, ils se regroupèrent et marchèrent sur Londres (Londinium). Chemin faisant, ils affrontèrent et défirent à leur tour quelques débris de l’armée d’Allectus, des rescapés de la bataille remportée par Asclépiodote. Ce fut cette petite victoire de soldats placés sous ses ordres, mais sans qu’il fût présent en personne, qui servit de prétexte à Constance pour partager les lauriers de son lieutenant et revendiquer la gloire de la reconquête de la Bretagne.
Comme quoi, même les plus grands hommes ont leur petite vanité !

En 298, Constance eut encore à repousser une invasion d’Alamans, mais, pour le reste, jusqu’en 305, il coula des jours heureux et paisibles séjournant le plus souvent à Trêves (Trier, en Allemagne).

En 303, cédant aux objurgations de son César Galère, Dioclétien commença à publier des édits de persécution contre les Chrétiens (voir ; « Persécution de Dioclétien »). Constance ne les appliqua qu’avec la plus grande répugnance, avec une mollesse extrême et une mauvaise volonté évidente. On peut le comprendre : Hélène, sa première épouse (ou concubine adorée), la mère de son fils aîné Constantin, avait, peut-être (car on n’est pas très sûr de la date de sa conversion), des sympathies pour la cause chrétienne !

Le César d’Occident se contenta donc de laisser brûler une église de-ci de-là, histoire d’avoir l’air de ne pas désobéir ouvertement aux injonctions formelles de Dioclétien, son supérieur hiérarchique ; mais, visiblement le cœur n’y était pas. Il faut dire aussi, qu’au Nord de la Loire, dans ces territoires placés sous la responsabilité de Constance, les Chrétiens étaient encore extrêmement peu nombreux !

On raconte aussi que, lorsqu’il prit connaissance des édits persécuteurs de Dioclétien, le blanc Constance fit appeler tous ses officiers chrétiens et leur dit en substance : « Voici voilà, maintenant il ne vous reste plus qu’à choisir. Ou bien vous sacrifiez aux dieux et vous gardez votre charge, ou bien vous refusez et vous êtes bannis à jamais ! ».
Un officier chrétien prit alors la parole au nom de ses camarades : « J’espère que tu plaisantes, ô César, car, malgré tout le respect qui t’est dû et notre dévouement à ton auguste personne, il est hors de question de que nous sacrifiions, danserais-tu même sur ton auguste tête ! »

helena

Pourtant, malgré cette belle profession de foi, certains soldats, plus attachés aux vanités de ce monde qu’à la gloire de Christ, s’empressèrent de protester de leur sens de la discipline. Quant à eux, ils ne voyaient aucune objection à accomplir le sacrifice requis ; la fumée de l’encens, ils adoraient !
Toute la cour restait suspendue aux lèvres de Constance. Quelle sentence allait-il prononcer ?
Enfin, le César prit la parole : « Et bien, mes chers amis, vous qui venez de renier votre sainte Foi avec une si déconcertante facilité, écoutez bien ce que je pense de vous : vous n’êtes que des lâches de la plus molle espèce ! Je serais donc le dernier des abrutis si moi, simple général, j’espérais de vous une fidélité que vous n’accordez même pas à votre Dieu Tout-Puissant. Alors, faites votre paquetage, emportez vos cliques et vos claques, disparaissez de ma vue et n’y reparaissez plus ! Quant à vous, mes bons enfants, vous qui avez proclamé votre croyance avec tant de courage et de mâle résolution, sachez que je vous estime tant que, à partir de maintenant jusqu’à dorénavant, c’est exclusivement à vous je vous confie la garde particulière de ma personne ».

Comme conclut le vieux bouquin où j’ai puisé cette anecdote (L Le Leu, Le Triomphe de la Croix, Casterman, 1909) : « C’était là le langage d’un home juste et sensé ! ».
Certes, mais permettez-moi quand même de douter de la véracité historique de cette charmante (et édifiante) historiette !

Le 1er mai 305, Dioclétien et Maximien abdiquèrent conjointement ; l’un à Milan, l’autre à Nicomédie. Dioclétien, premier Auguste (= empereur principal) se ressentant encore de la grave maladie qui avait failli l’emporter l’année précédente, n’aspirait qu’à une retraite bien méritée. Ce n’était pas du tout le cas de son collègue Maximien qui, lui, n’avait consenti à s’effacer qu’avec la plus extrême répugnance. Cependant, il fit comme il avait toujours fait, il obéit à Dioclétien, son chef vénéré, et remit tous ses pouvoirs à son subordonné Constance Chlore. Toujours pour se conformer aux décisions de Dioclétien, qui nourrissait une grande méfiance envers les successions de type dynastique, Constance ne put prendre son fils Constantin comme César (= empereur adjoint). Ce fut Sévère qui lui fut imposé comme second et qu’il dut adopter. Quant à Constantin, il fut retenu comme otage à la cour de Galère qui avait succédé à Dioclétien en Orient : on n’était jamais trop prudent, chez Constance, l’appel du sang pouvait être plus puissant que la discipline militaire qui présidait aux principes successoraux de la Tétrarchie !

En fait, c’était pourtant bien Constance Chlore, plus âgé que son collègue Galère qui était l’empereur romain principal. Mais, naturellement, tant que son fils se trouvait à la cour de l’empereur d’Orient, pas réellement prisonnier mais pas tout à fait libre non plus, sa marge de manœuvre était extrêmement réduite. Il se contenta donc de gouverner assez libéralement (au contraire de prédécesseur Maximien, dont la poigne était plus rude) un Occident romain pacifié.

Heureusement (si l’on ose dire), au début de l’année 306, les Pictes (habitants de l’Écosse actuelle) envahirent les provinces britanniques. Constance prit prétexte de cette menace pour exiger le retour de son fils auprès de lui. L’empereur Galère, sous peine d’admettre que Constantin était son prisonnier et qu’il n’avait aucune confiance en la loyauté de son collègue d’Occident, fut bien obligé de céder et de réexpédier le fils d’Hélène vers son géniteur

Constantin arriva juste à temps à Boulogne pour s’embarquer avec son père et ses légions. Cette fois, la traversée de la Manche s’effectua sans encombre et Constance Chlore remporta une belle série de victoires contre les envahisseurs Pictes. Ce fut sans doute un genre de guerre-éclair, car, dès le mois de juillet 306, l’empereur d’Occident se trouvait à York. Il se préparait à appareiller à destination des Gaules quand il tomba gravement malade.

Il mourut le 25 juillet 306.