Carus

Carus

282 – 283
Carus
(Marcus Aurelius Carus)

L’empereur Probus avait une sainte horreur de voir ses troupes désœuvrées. En temps de paix, il les occupait donc à des travaux d’intérêt général : assèchement de marais, percement de canaux, plantation de vignes, etc… Les soldats ne l’entendirent pas de cette oreille. Pour eux, ces travaux, c’était le comble du déshonneur. Quelle déchéance ! Au lieu de faucher les Barbares des champs de batailles, au lieu de traire des troupeaux de paysans apeurés ou de fainéasser dans les camps, ils devaient patauger comme des bêtes de sommes dans des marais infestés de moustiques ou planter des vignes comme de vulgaires cul-terreux gaulois ! Quelle honte !

Dans le campement d’Illyrie où les troupes se concentraient en vue de l’expédition de Perse, les murmures se transformèrent bien vite en révolte. Finalement, l’empereur Probus fut massacré par ses propres soldats. (Septembre ou Octobre 282)

La nouvelle de cet assassinat ne tarda guère à parvenir à Carus, le Préfet du prétoire de l’empereur défunt. Il accourut aussitôt à Sirmium (auj. Mitrovica, en Serbie), et là, sur les lieux mêmes du drame, les légionnaires, à l’unanimité, le proclamèrent empereur. Ça tombait plutôt bien : quelques jours auparavant, juste un peu avant que Probus ne passe l’arme à gauche, ses propres soldats, casernés en Rhétie, l’avaient déjà revêtu de la pourpre ! De là à prétendre que Carus fut l’instigateur du meurtre de Probus, il n’y a qu’un pas…

Le nouvel empereur était un Gaulois originaire de Narbonne, la patrie de Charles Trenet… Mais les similitudes entre le souverain romain et le « Fou chantant » s’arrêtent là ! Car si l’accession au trône de ce Narbonnais brisait la continuité des empereurs Illyriens, Carus était pourtant, comme ses prédécesseurs, un pur produit des légions c’est-à-dire un rude soldat, totalement dépourvu de la moindre fantaisie. En outre n’ayant jamais rien connu d’autre que l’armée et la vie des camps, il se souciait bien peu des civils. C’est sans doute pour cela qu’il ne prit pas la peine de solliciter du Sénat la ratification – toute formelle – de son accession au trône.

C’est également sans demander l’avis de personne que, dès les premiers jours de son règne, Carus associa au pouvoir ses deux fils, Carin et Numérien. Le premier était un débauché notoire, et l’autre un rhéteur emphatique !
Mais même si la succession de Carus ne s’annonçait pas franchement enthousiasmante, personne, en cette belle année 282, ne songeait à la disparition prématurée du nouvel empereur. Bien qu’il eût dépassé la soixantaine, Carus, était toujours vert et ses objectifs ambitieux. Ce qu’il voulait c’était éliminer une fois pour toutes l’ennemi héréditaire perse, effacer l’humiliante défaite subie par Valérien vingt ans plus tôt et donner enfin à l’Empire des frontières orientales sûres.
C’est qu’il voyait grand, le Carus !

Après une guerre-éclair contre les Quades et les Sarmates, qui lui assura le titre glorieux de Germanicus Maximus (=Grand vainqueur des Goths), l’empereur confia la gestion des affaires courantes de l’État à Carin, son fils aîné, rassembla ses troupes et, emmenant avec lui son cadet Numérien, il marcha sur la Perse pour accomplir son vaste dessein…

Le Roi des Rois Bahram (ou Vahram) s’alarma des préparatifs belliqueux de Carus : sa propre armée se trouvait aux confins de son royaume, du côté de l’Inde. Jamais il ne pourrait résister aux légions ! Il fallait gagner du temps… Deux ambassadeurs perses s’en vinrent au camp romain pour solliciter la prolongation de la trêve signée sous Probus .

carin

Après avoir erré longtemps entre les tentes, ils découvrirent enfin l’empereur romain. L’héritier des Césars, le maître de l’Occident était assis par terre, appuyé contre un piquet de sa tente, occupé à déguster un fort peu ragoûtant brouet composé de lard rance et de pois chiches moisis !
Les ambassadeurs, quoique quelque peu interloqués, formulèrent leur requête dans le style fleuri cher aux orientaux. La réponse de Carus fut des plus laconiques. Soulevant le bonnet dont il était coiffé, il montra son crâne dégarni : « La Perse, dit-il, sera aussi dépourvue d’arbres que mon crâne de cheveux si votre maître ne reconnaît la souveraineté de Rome ! ». Les émissaires s’en retournèrent chez eux, épouvantés. C’était la guerre.

Mais en fait, faute d’opposition, la campagne de Perse se résuma à une promenade militaire. Séleucie et Ctésiphon, les capitales du royaume sassanide, tombèrent comme des fruits mûrs. Cependant, l’ennemi restait invisible. Force fut aux légions, lancée à la recherche d’un adversaire insaisissable, de s’enfoncer en territoire perse.
C’est à ce moment (25 décembre 283) que Carus disparut dans des circonstances bien peu claires.

Une lettre apocryphe, citée (forgée ?) par l’inventif auteur de l’Histoire Auguste, relate ainsi l’événement : « Notre empereur Carus (…) reposait sous sa tente, cloué au lit par la maladie lorsqu’il s’éleva subitement une furieuse tempête accompagnée d’une obscurité telle, qu’il n’était plus possible de distinguer personne ; bientôt des éclairs qui faisaient paraître le ciel tout en feu, et les coups répétés du tonnerre nous ôtèrent à tous le sang-froid nécessaire pour savoir ce qui se passa alors. Mais soudain part un cri, qui se fit surtout entendre après un grand éclat de tonnerre qui avait partout répandu l’effroi : « L’empereur est mort ! » Joignez à cela que les officiers de la chambre du prince, désespérés de sa perte, brûlèrent sa tente. De là s’est répandu le bruit que Carus avait été frappé par la foudre, tandis que, autant que nous pouvons le savoir, il est certain qu’il a succombé à sa maladie « . (Histoire Auguste, Carus, 8 : 5 – 7).

Alors ? Maladie ou foudre ?…

Edward Gibbon (Histoire du Déclin et de la Chute de l’Empire romain, I, 12) fait remarquer qu' »Eutrope, Festus, Rufus, les deux Victor (des historiens antiques), Sidoine Apollinaire (un poète du Ve siècle), saint Jérôme, Georges Syncelle, et Zonaras (des historiens byzantins) prétendent tous que Caris fut tué par la foudre ».

D’accord ! Mais quelle est la probabilité statistique qu’un vieil empereur romain, aventuré en pays ennemi avec des troupes découragées et au bord de la mutinerie, périsse foudroyé alors que, valétudinaire, il repose dans sa tente de campagne ?
Sans doute quasiment nulle !

Alors ? simplement la maladie ?…

Si vous voulez mon avis, elles ont bon dos, la foudre ou la maladie ! Ce qui est bien plus probable – et c’est l’opinion de bien des historiens modernes – c’est que les soldats romains, épouvantés de se trouver si loin de leurs bases, profitèrent de la confusion créée par un violent orage pour incendier la tente de l’empereur, se débarrassant ainsi ce chef qui, croyaient-ils, les conduisait à leur perte. Une ancienne prophétie n’affirmait-elle pas que les armées romaines, sous peine d’anéantissement, ne pouvaient dépasser Ctésiphon, la capitale de l’Empire perse ?

On m’objectera que l’intronisation paisible de Numérien, fils de Carus, immédiatement après la mort de son père, ne plaide pas en faveur de l’hypothèse d’un meurtre politique.
À première vue, cela semble exact… Cependant, si les soldats romains désiraient réellement mettre un terme à l’épuisante expédition de Perse, l’élévation de l’incapable Numérien offrait nettement plus de chances de retour au pays que la désignation d’un autre général va-t-en-guerre de l’entourage de l’empereur défunt.