Victoria Augusta

269 – 272
Victoria Augusta

Si l’on en croit nombre d’historiens, tant anciens que modernes, le personnage le plus important, le plus influent de l’éphémère Empire romain des Gaules, la personnalité qui marqua le plus profondément de son empreinte cette époque troublée fut une femme : Victoria, la mère de l’empereur Victorinus.

C’est cette Victoria qui aurait demandé à Postumus d’élever son fils Victorinus à la dignité de co-empereur (Augustus). En effet, le premier empereur « Gaulois » se trouvait aussi être, heureux hasard, son cousin germain.
Postumus assassiné, c’est également elle qui aurait conseillé à son Victorinus de fils de feindre d’accepter l’élévation au trône de l’ancien forgeron Marius, pour qui elle avait eu, dans le passé, de coupables faiblesses.
Et pendant que son ancien amant, qui manquait cruellement d’ambition, se discréditait aux yeux de ses soldats, c’est toujours la belle Victoria qui aurait renforcé les droits légitimes de son fils à l’Empire en se présentant elle même, non plus comme une cousine de Postumus, mais comme sa propre sœur. Grâce à ce gros mensonge, Victorinus, réputé neveu et plus proche parent du premier empereur gaulois, devenait son légataire universel.Ce serait ainsi, par le biais de cette féminine astuce, qu’à la mort de Marius lui aussi massacré par ses compagnons d’armes, le fiston Victorinus aurait, sans opposition majeure, ceint la couronne de l’Empire des Gaules.
victorinus

Fils reconnaissant, Victorinus aurait alors décerné à sa mère Victoria le titre éblouissant d’Augusta (quelque chose comme « Impératrice divine ») et aurait fait frapper des monnaies à l’effigie de son illustre génitrice. Quant aux soldats, impressionnés par les mérites éclatants de cette femme d’exception, ils lui auraient donné le pseudonyme, affectueusement familier, de « Mère des Camps » (Mater Castrorum).

À la mort de son fils, cette Victoria aurait aussi refusé le trône impérial (et le commandement des légions gallo-romaines !) que les assassins de son fils lui offraient fort libéralement. Elle aurait alors, grâce à ses immenses richesses, soudoyé grassement ces mêmes soldats afin que leur choix se porte plutôt sur Tetricus, un autre sien cousin.

Enfin, last but not least, l’infatigable Victoria aurait également tenté de s’opposer à la reconquête romaine d’Aurélien. Elle aurait même conclu une alliance offensive et défensive avec l’autre grande dame de son époque, la reine Zénobie de Palmyre, afin de prendre littéralement Rome en tenaille ! Des ambassadeurs furent échangés, mais la chute du royaume de la belle reine d’Orient ruina ce beau projet.

Victoria Augusta serait morte (de mort naturelle ou assassinée on ne sait trop) vers 272, sous le règne de son cousin Tetricus.

Malheureusement, tout ce beau roman ne repose sur presque aucun témoignage historique. En fait, c’est même une grossière erreur d’interprétation qui semble être à l’origine de cette « saga victorienne ».

Tout commence avec l’historien latin Aurelius Victor qui, le premier, mentionna cette gente dame. En fait, ce Victor aurait fort mal interprété les légendes figurant sur les monnaies frappées par les empereurs gaulois. Ceux-ci avaient en effet coutume de dédier leurs succès militaires à la déesse de la Victoire (ou à la Victoire déifiée), célébrée sous le vocable de « Victoria Augusta » et représentée sous les traits d’une noble matrone couronnée de lauriers et bandant un arc.
Notre bon Aurelius Victor ne se cassa pas la tête : pour lui, la mère de l’empereur gaulois Victorinus ne pouvait s’appeler que Victorina. Dès ce moment, il n’y avait plus qu’un pas à franchir pour transformer cette Victorina en Victoria et, du même coup, métamorphoser une simple allégorie monétaire, un peu pompière, en une femme de chair et de sang !
D’autre part, comme cette « Victoria » apparaissait sur la plupart des monnaies des empereurs gaulois, il fallait bien qu’elle eût noué des liens étroits (de parenté ou amoureux) avec tous les souverains sécessionnistes de l’Empire romain des Gaules.
Et enfin, si on l’avait bombardée du titre prestigieux d’Augusta (impératrice), c’était sûrement qu’elle avait pris une part prépondérante dans les affaires politiques de l’Empire gaulois…
Bref tout un écheveau de présuppositions hasardeuses s’enchaînait parfaitement pour faire de cette Victoria l’amoureuse la plus exaltée, la plus noble figure politique et la plus grande aventurière de son temps !

Une bien grossière erreur, certes… Mais gardons-nous de prendre les historiens antiques pour les débiles mentaux qu’ils n’étaient nullement ! la bourde d’Aurelius Victor n’était sans doute ni innocente, ni involontaire.
Le fait de montrer que ce n’était qu’une faible femme, si brillante fut-elle, qui avait tenu (directement ou indirectement) les rênes de l’Empire sécessionniste gaulois, affirmer péremptoirement que c’était une simple matrone qui faisait et défaisait tous les souverains de cet empire-croupion, c’était, aux yeux de ces vieux Romains très machistes, jeter le plus grave des discrédits sur ce rival de Rome que constituait l’État gallo-romain de Postumus et consorts.
En même temps, exalter cette Victoria imaginaire, intrépide et impavide, c’était aussi achever de ruiner la réputation de Gallien, cet empereur efféminé qui, par ses débauches effrénées et son indécrottable mollesse, était parvenu « à encourir le mépris non seulement des hommes, mais aussi des femmes » (Histoire Auguste, Tr. Tyr, I, 1).

Ce dénigrement systématique, à la fois de l’Empire gaulois tombé en quenouille et du règne de ce Gallien où les femmes portaient la culotte, ne servait qu’à rehausser l e prestige de Claude II (le Gothique), meurtrier et successeur de Gallien, mais aussi et surtout aïeul présomptif du grand Constantin, illustre fondateur de la prestigieuse dynastie qui dirigeait l’Empire à l’époque où Aurelius Victor écrivait !

Et puis, sans doute fallait-il aussi, ne serait-ce que pour l’équilibre du récit, un pendant occidental à la belle palmyrénienne Zénobie !