249 - 251
Dèce
(Suite et fin)
Page précédente:
Sur cette page :
|
La Persécution de Dèce

|
Bien que le texte de l'édit persécuteur ne nous
soit pas parvenu et que les chroniqueurs païens ne disent mot
des persécutions chrétiennes, la majorité des
historiens modernes pensent que l'empereur Dèce,
souhaitant rétablir l'unité idéologique de
l'Empire, aurait obligé tous les citoyens romains à
manifester leur patriotisme. Tous, sous peine de mort, auraient
été tenus d'offrir un sacrifice aux dieux tutélaires
de l'État. On nous dit également que très nombreux
furent les Chrétiens qui refusèrent cette concession
à l'idolâtrie et connurent la fin glorieuse des martyrs.
Certes, il semble évident que, pendant le règne de
Dèce,
le libre exercice de la religion était devenu moins facile
qu'aux époques précédentes. Mais faut-il pour
autant parler de "persécution générale" ?
S'il s'agissait réellement de restaurer l'unité idéologique
de l'Empire par le biais de l'éradication générale,
radicale et impitoyable d'une religion "déviante", bon nombre
de faits rapportés par des auteurs chrétiens contemporains
s'expliquent assez difficilement. Pour un martyr avéré
(ou soi-disant tel), comme, par exemple, le pape Fabien, exécuté
à Rome au début de l'année 250, combien de
Chrétiens, même parmi les plus éminents, échappent
à toute poursuite avec une facilité confondante ! |
Alors que l'édit prévoyait, dit-on, la mort pour tous les
irréductibles Chrétiens, le grand saint Cyprien de Carthage
se retire simplement dans sa maison de campagne et, de là, continue
à diriger ses ouailles !
Son collègue d'Alexandrie connaît, grosso modo, le même
sort.
Quant au grand théologien Origène, son cas est encore plus
bizarre. Lui, il est arrêté, horriblement torturé,
paraît-il
et puis on le relaxe, comme s'il ne s'était
rien passé ! D'autres Chrétiens sont condamnés au
bagne
D'autres sont libérés après avoir "témoigné
de leur foi" devant le juge romain !
Et tout cela alors que l'édit perdu de Dèce
ne prescrivait, paraît-il, qu'une seule peine - la mort - pour tous
ceux qui refusaient de sacrifier aux dieux de l'Empire.
Les lois romaines n'étaient guère susceptibles d'interprétation,
que je sache ? Dura lex sed lex n'est pas un proverbe latin pour
des prunes !
En outre, la portée effective de l'édit pose aussi problème.
S'agissait-il réellement d'obliger réellement tous les habitants
de l'Empire, sans exception, à sacrifier aux dieux ?
Au moment où des envahisseurs menaçaient toutes les frontières,
était-il bien raisonnable d'envisager une mesure d'une telle ampleur,
source de désordres infinis et d'innombrable paperasserie ?
Il serait un peu trop fastidieux d'exposer ici toutes les incohérences
qui surgissent si l'on accepte la version (officielle) d'un édit
de persécution universelle que Dèce
aurait promulgué afin d'éradiquer une innocente religion
au seul motif que cette doctrine aurait menacé la cohésion
de l'Empire. Mieux vaut en venir directement à ce qui, à
mon avis, s'est réellement passé.
Quand Dèce prend le pouvoir en 249, il a quelques bonnes raisons
de se méfier des Chrétiens, ces coreligionnaires de Philippe
l'Arabe, son prédécesseur assassiné.
À la fin de la campagne de Perse, en 244, et alors qu'au vu de
la situation militaire, on se dirigeait plutôt vers un statu
quo ante, Philippe avait, nous l'avons dit, signé avec Sapor,
le Roi des Rois, un traité de paix humiliant pour Rome. Dèce
avait de fort bonnes raisons de soupçonner les Chrétiens
d'être à l'origine cette paix bâclée.
Il faut dire que Sapor, pour briser le pouvoir exorbitant des mages zoroastriens,
ainsi que pour rallier à sa personne les dissidents de Rome au
moment où il allait se lancer à la conquête des provinces
orientales de l'Empire, avait autorisé Mani, un Babylonien longtemps
adepte d'une secte chrétienne, à prêcher sa doctrine
dans ses états.
Or, pour le Roi des Rois Sapor, pour l'empereur romain Dèce,
et même pour les doctrinaires chrétiens de ce temps, la doctrine
de Mani n'était qu'une hérésie chrétienne
parmi d'autres. Et comme ce "christianisme rebouilli à la sauce
mésopotamienne" était en passe de devenir la religion officielle
de l'Empire perse, il n'y avait rien d'étonnant à ce que
l'empereur Dèce impute aux Chrétiens la responsabilité
du désastreux traité de 244. Car pour lui, c'était
clair : une paix honteuse avait été achetée par un
traité d'amitié entre Philippe, empereur crypto-chrétien,
et Sapor, Roi des Rois crypto-manichéen et de ce fait crypto-chrétien
lui aussi.
En outre, si, en Orient, la collusion des Chrétiens avec l'ennemi
héréditaire perse était probable, en Occident leur
trahison était certaine. À la mort de Philippe
l'Arabe, son frère Priscus,
Chrétien comme toute la famille de l'empereur assassiné,
s'était révolté et avait fait alliance avec les terribles
Goths. Soutenu par ses dangereux alliés, Priscus avait revêtu
la pourpre impériale et menaçait de marcher sur Rome.
Si l'Empire romain voulait survivre, il était donc impératif
de contrer la menace chrétienne. Mais comment ?
Philippe l'Arabe avait placé tous ses amis chrétiens aux
postes de commandement.
Une épuration radicale s'imposait d'urgence. Ce fut ce qu'on appellera
"la persécution de Dèce"
Dans un premier temps, Dèce
fit exécuter les personnages les plus en vue de l'ancien régime
dont la plupart, naturellement, étaient chrétiens.
Après avoir supprimé les inspirateurs de la politique de
Philippe
l'Arabe, Dèce ordonna qu'on interroge les principaux dignitaires
chrétiens sur leurs relations avec les ennemis de l'État,
avec Priscus ou avec l'ennemi perse.
C'est dans ce cadre que le grand Origène fut arrêté
et torturé. Coupable de haute trahison ou non, Origène qui,
dans sa jeunesse avait, pour la plus grande gloire de Dieu, supporté
la douleur d'une castration volontaire, résista à tous les
mauvais traitements. Faute d'aveux et de preuves, il fut relâché.
Cyprien à Carthage et Denys à Alexandrie, eux, préférèrent
prendre la poudre d'escampette.
Mais si Origène était resté silencieux sous la torture,
les arguments frappants des bourreaux romains avaient su convaincre d'autres
Chrétiens. Ils se montrèrent intarissables : la liste des
suspects de connivence avec l'ennemi s'allongeait de jour en jour. L'empereur
Dèce
se résigna alors à appliquer dans toute sa rigueur la législation
de Trajan
(ce prince qu'il admirait entre tous !). Selon cette jurisprudence, les
Chrétiens opiniâtres, s'ils avaient enfreint la loi, étaient
passibles de la peine de mort.
La mesure de Dèce, qui n'était pourtant que l'application
stricte d'un vieux règlement, sema la panique dans les rangs chrétiens.
La communauté vivait en paix depuis si longtemps !
Certes, parmi ces Chrétiens "de base", beaucoup (les soldats convertis
par exemple) savaient qu'ils n'avaient rien à craindre et nul ne
pourrait jamais douter de leur loyauté envers l'Empire. Mais, pour
bien d'autres, à la conscience moins nette ou simplement d'un naturel
plus craintif, la remise en vigueur de l'antique réglementation
de Trajan fut une véritable tragédie. Certains, même
sans faire l'objet d'aucune pression, se ruèrent dans les temples
et s'empressèrent de sacrifier aux dieux. D'autres soudoyèrent
l'un ou l'autre fonctionnaire afin d'obtenir des certificats attestant
qu'ils avaient brûlé quelques grains d'encens devant la statue
de l'empereur. Mesure prophylactique !
Si ces Chrétiens esquivaient la persécution sans trop de
problèmes, d'autres, liés aux mouvements les plus radicaux
du christianisme, n'avaient aucune chance d'échapper aux poursuites
: leur réputation d'extrémistes était connue urbi
et orbi.
Beaucoup de ces illuminés, imitant Cyprien de Carthage et Denys
d'Alexandrie, entrèrent dans la clandestinité. Étant
entendu qu'il ne s'agissait pas "de prendre le maquis" passivement
! Cette expression doit être prise dans le sens qu'elle avait à
l'époque de la Seconde Guerre mondiale. C'est seulement, ainsi,
en entrant dans "l'Église militante", que le titre hautement respecté
de "Témoin de la Foi", de "Confesseur" pouvait être conquis.
Mais si l'on voulait quand même mériter le titre glorieux
de "confesseur" sans entrer dans la Résistance, il fallait agir
comme les personnages les plus vénérés de la secte.
Pour eux, c'était un péché infâme que de tenter
seulement de se soustraire à la persécution. Convoqué
au tribunal, il fallait s'y rendre l'il en fleur et la fleur aux
dents, injurier empereur, magistrats et bourreaux, subir les supplices
en louant Dieu et, si le juge se montrait inflexible, accepter la mort
glorieuse des martyrs comme récompense suprême.
Il est impossible de se livrer à une estimation du nombre des
victimes de cette répression. Tout porte cependant à croire
qu'il fut limité : dès 251, à peine quelques mois
après la fin de cette persécution, nous retrouvons les communautés
chrétiennes de Rome et de Carthage plus florissantes que jamais,
peuplées et actives, organisant des réunions et soutenant
financièrement ses adhérents en difficulté !
Les condamnations à mort punissaient des crimes de haute trahison
ou des délits de droit commun, pas des motifs religieux, et elles
furent sans doute rares. Et naturellement, les grandes métropoles
et les régions où les Chrétiens extrémistes
étaient le plus nombreux (Afrique, Antioche, Rome, Alexandrie)
furent plus durement frappées.
L'ampleur et le soin apporté aux recherches dépendaient
aussi du zèle des magistrats locaux et de leur fidélité
à l'empereur Dèce,
dont le pouvoir n'eut guère le temps de s'établir fermement
partout dans l'Empire. De plus, des pogroms anti-chrétiens pouvaient
toujours survenir.
Bien sûr, les auteurs chrétiens contemporains ne nous parlent
guère que des martyrs et des lapsi, ces faibles qui renièrent
leur foi. C'est bien normal. Les martyrs étaient la gloire de l'Église
et la réintégration des lapsi posait un douloureux
problème pénitentiel. Mais ce serait une erreur de réduire
la communauté chrétienne de l'époque à ces
deux groupes de croyants, à l'attitude si violemment contrastée.
L'Église n'était pas constituée uniquement de héros
ou de lâches. Et puisque nous savons par saint Cyprien que, même
au plus fort de la "persécution", des "Confesseurs" intervinrent
afin que certains lapsi soient réintégrés
dans la "communion de l'Église", c'est que cette Église
ne se réduisait pas à ces deux catégories de fidèles
et que tous les "Confesseurs de la Foi" ne périssaient pas sous
la griffe des lions ou sous la hache du bourreau !
Plus que tout autre indice, c'est la diversité de comportement
des Chrétiens lors de la "persécution" qui montre que l'édit
présumé de Dèce
ne pouvait être ce que disent la majorité des historiens
chrétiens.
Si cette loi stipulait uniquement que tous les citoyens de l'Empire devaient
sacrifier aux dieux sous peine de mort, la marge de manuvre et d'appréciation
des magistrats chargés de l'appliquer aurait été
quasi nulle. Et comme, en général, les rescrits impériaux
ne laissaient guère de place à l'interprétation,
et les prétoires se seraient bien vite transformés en charniers.
Et comme aucune source historique ne nous décrit de telles hécatombes
La Persécution de Dèce
sur la Toile :
RECHERCHE
DANS LE SITE
"EMPEREURS ROMAINS"
|
|
En vrac, encore d'autres
pages internet :

|

|