Caracalla

Caracalla

211 – 217
Caracalla
(Marcus Aurelius Antoninus Bassianus)

À sa naissance (4 avril 188), le fils aîné de l’empereur Septime Sévère, que nous connaissons sous le nom de Caracalla, fut appelé Bassianus, du nom de son grand-père maternel (voir Julia Domna et tableau généalogique). Quand le bambin eut huit ans, quand son père eut accédé à l’empire et se fut autoproclamé fils adoptif de Marc Aurèle, notre Bassianus Junior reçut le nom de l’empereur philosophe (Marcus Aurelius Antoninus). Ce ne fut qu’après sa mort que ses biographes l’affublèrent du sobriquet de Caracalla, du nom du manteau gaulois qu’il aimait à porter.

Cela dit, il est vrai que pour se payer la tête dudit Caracalla, était sans doute plus prudent d’attendre sa disparition, car cet empereur n’était pas, à proprement parler, doté d’un sens de l’humour très développé.
Ses biographes prétendent pourtant que, jusqu’à son adolescence, ce fut le plus charmant bambin du monde, enjoué et tout. Ce n’est qu’avec le bouillonnement des hormones de l’adolescence que lui vinrent, pêle-mêle, un goût marqué pour la vie militaire, une admiration maniaque pour Alexandre le Grand, une grande indifférence à l’égard du beau sexe, un amour maternel exclusif, et surtout une insatiable cruauté.

Quant à sa haine pour son frère cadet Geta, il la nourrissait depuis le berceau, ou presque, et son frangin la lui rendait bien. Cette aversion réciproque était à ce point inexpiable qu’elle ne pouvait se conclure que par un fratricide.

Tout d’abord, à la mort de Septime Sévère (211), les soldats, qui voulaient que le testament de l’empereur défunt fût respecté, obligèrent les deux frères ennemis à régner conjointement. Mais une fois la paix revenue, l’armée démobilisée et la famille impériale de retour à Rome, l’inéluctable affrontement ne put plus être évité. Un jour que leur mère, une fois de plus, tentait de réconcilier les deux frangins, Caracalla se jeta sur Geta (si j’ose dire) et lui enfonça son glaive dans la gorge.

Après le meurtre de son frère, Caracalla se livra à une véritable épuration stalinienne. Tous les amis, relations ou partisans, vrais ou supposés, de Geta furent mis à mort (parmi lesquels le jurisconsulte Papinien, préfet du Prétoire). Les monuments portant le nom de l’infortuné frère de l’empereur furent martelés, les actes officiels furent expurgés et Caracalla interdit, sous peine des pires supplices, de seulement prononcer le nom de Geta en sa présence.

Débarrassé de son frère, Caracalla régna seul pendant six ans. Six années qu’il passa à la tête de ses troupes.
Les soldats idolâtraient leur chef. L’historien Hérodien, un contemporain de l’empereur, nous le montre parcourant à pied, comme un simple soldat, les étapes les plus harassantes. Il exécutait aussi, paraît-il, les corvées les plus exténuantes et se nourrissait de la même infecte pitance que ses légionnaires, « Pour ces raisons, conclut l’historien grec, les troupes l’aimaient comme un bon soldat et s’émerveillaient de sa vaillance. Et de fait, on pouvait admirer qu’un homme de si petite taille manifestât tant d’endurance dans des tâches si lourdes et pénibles ».
Mais si, sur toutes les frontières de l’Empire, le petit Caracalla menait ses soldats à la victoire, il laissait également derrière lui, toujours et partout, des fleuves de sang et des monceaux de cadavres.

Bon général et souverain d’une cruauté proverbiale, il se rendit d’abord en Gaule, pour renforcer les défenses du Rhin (213), puis dans les Balkans (214) pour protéger la frontière du Danube. Ensuite, Caracalla le Petit porta ses pas vers l’Orient dans le dessein de rétablir l’Empire d’Alexandre le Grand, son héros favori et son modèle.

À Alexandrie d’Égypte aussi, l’empereur ne manqua pas de laisser de cruels souvenirs.
Comme Caracalla,, en récompense de ses victoires sur des peuples barbares, avait reçu des titres ronflants tels « Grand Britannique, Grand Alémanique, Grand Arabique », les habitants de la métropole égyptienne avaient prétendu ironiquement qu’il aurait fallu aussi y ajouter celui de « Très Grand Gétique » – titre imaginaire qui évoquait autant la peuplade des Gètes, que, naturellement, le nom du frère assassiné.
Caracalla ne goûta que fort peu la plaisanterie… Lors d’un rassemblement de la jeunesse alexandrine en l’honneur du fondateur de la cité, il lança ses soldats sur la foule. Ceux-ci se livrèrent à un massacre si épouvantable « que les flots de sang, traversant l’esplanade, allèrent rougir l’embouchure, pourtant très vaste, du Nil » (Hérodien, IV, 9 : 3-8).

Lors de sa campagne contre les Parthes, Caracalla dont la cruauté était déjà proverbiale, ajouta la fourberie à la palette de ses défauts. Il demanda en mariage la fille d’Artaban, le roi des Parthes. Il l’obtint et accompagné de toute son armée, se rendit en Mésopotamie pour célébrer les noces impériales. Quand la foule des « Barbares », civils et militaires confondus, fut rassemblée pour la fête, prés de Ctésiphon, leur capitale, Caracalla donna un signal et le scénario du massacre d’Alexandrie se reproduisit : les soldats romains se ruèrent sur les Parthes et les égorgèrent en masse. Le naïf roi parthe s’échappa de justesse et ne songea plus qu’à se venger de la duplicité romaine.

Il n’eut cependant pas le temps de la faire car, peu après le massacre, l’empereur Caracalla fut assassiné (8 avril 217) par son préfet du Prétoire Macrin, qui lui succéda.

Le cruel Caracalla est surtout connu pour avoir fait édifier de grandioses monuments à Rome (entre autres, les somptueux Thermes « de Caracalla ») et pour avoir publié en 212 un édit (dit « Constitution antonine) qui accordait la citoyenneté romaine à tous les habitants de l’Empire. Mais, naturellement, il ne faut pas voir dans cette mesure un quelconque souci humanitaire de ce cruel empereur : l’édit de Caracalla visait surtout à généraliser la perception des lourds impôts dus par les citoyens romains.

Bien que cruel et immoral, Caracalla laissa les Chrétiens vivre en paix. Il est vrai que sa nourrice et son précepteur auraient été chrétiens. Il faut aussi dire que Caracalla qui voulait envahir et annexer la Mésopotamie, région où les communautés chrétiennes étaient très nombreuses, avait tout intérêt à ménager ces remuants sectaires. Ne pouvaient-ils pas constituer une « Cinquième colonne » au cœur même de l’empire Parthe, l’ennemi héréditaire de Rome ?

Une dernière précision concernant Caracalla :

S’il est malheureusement exact que Caracalla assassina son propre frère, il est totalement faux qu’il ait épousé sa propre mère Julia Domna, contrairement aux rumeurs qui coururent à son époque.
Fratricide, certes, incestueux, non !
Si Caracalla, qui avait également fait assassiner sa jeune épouse, paraissait totalement soumis à sa mère, c’était uniquement parce qu’ils s’étaient répartis la gestion de l’Empire. Pendant que maman dirigeait autoritairement, mais maladroitement, la politique intérieure, son fiston s’occupait de l’armée, objet de tous ses soins. N’avait-il pas déclaré un jour : « L’empereur doit s’assurer uniquement de l’affection de ses soldats et compter pour rien le reste de ses sujets ». (Dion Cassius, I,77)