"Judeaos, impulsore Chresto
assidue tumultuantes, Roma expulit" - "Les Juifs provoquant
continuellement des troubles à l'instigation de Chrestos,
il les chassa de Rome" (Suétone, Claude, XXV)
L'interprétation de cette petite phrase
de Suétone par la plupart des critiques modernes me
semble assez légère. Pour eux, pas de doute,
l'historien romain se trompe, un point c'est tout ! Cet ignare
de Suétone croit que ce "Chrestos" est toujours
vivant alors qu'en fait, les juifs se réclament d'un
personnage décédé depuis près
de deux lustres !
Cet imbécile d'historien ignorerait donc presque tout
du "fait chrétien". Cet abruti ne saurait donc même
pas que Jésus le Nazaréen, exécuté
par Ponce Pilate, à Jérusalem, en 33, était
surnommé "Chrestos" (ou "Christos") et que ses disciples
se nommaient donc "Chrétiens" ou "Christiens".
Allons donc !
Suétone, qui écrit quatre-vingts ans après
ces faits, alors que les Chrétiens ont déjà
largement fait parler d'eux ; Suétone, ami de Pline
le Jeune qui aura maille à partir avec les Chrétiens
; Suétone, archiviste d'Hadrien qui publiera un rescrit
envers les Chrétiens ; ce Suétone cancanier,
au courant de tous les ragots, surtout les plus malveillants,
ne saurait rien de ce Jésus-Christ dont on a si abondamment
parlé sous les règnes de Claude, de Domitien
et de Trajan ! Ce "fouille-merde" se mettrait le doigt dans
l'oeil jusqu'à l'omoplate en croyant, à tort,
que Jésus est toujours vivant en 42 !
C'est quasiment invraisemblable !
Mais alors, si effectivement Suétone
nous laisse supposer que ce "Chrestos" est bien vivant en
42, deux possibilités se présentent :
1. Suétone sait, comme tout un chacun à
l'époque où il écrit, que Jésus
a survécu à la crucifixion et qu'il n'est
mort que bien plus tard. Suétone n'a donc nul besoin
d'alourdir son récit de détails superflus
: les Juifs se soulèvent à l'instigation d'un
certain "Chrestos" et c'est bien normal, puisque c'est le
chef d'une de leurs factions. Tout le monde sait cela !
2. Suétone ne sait pas que Jésus
a survécu au supplice et il ne fait pas le rapprochement
entre Jésus et ce mystérieux "Chrestos".
Invraisemblable, dites-vous : "Tout le monde connaît
Jésus-Christ !".
|
|
Non, c'est pourtant fort possible, et ce pour deux raisons qui
se complètent l'une l'autre :
1. S'il écrit en latin, Suétone, comme
tous les érudits de son temps pense en grec. Et quand,
quatre-vingts ans après, il lit les déclarations
(en grec) des manifestants juifs de 42 qui désignent
un certain "Chrestos" comme leur chef, il ne voit là
qu'un vulgaire sobriquet. Ce "nom de guerre", vu le sens littéral
du mot grec, nous le traduirions aujourd'hui par : "le Visqueux",
"le Huileux", "le Gommeux" ou "l'Empoissé ".
Les sources consultées par Suétone parlent d'un
donc personnage nommé "l'Empoissé" qui dirige,
peut-être de loin, mais en chair et en os, les émeutes
juives de 42. Dès lors, l'historien, logique comme tous
les Romains, ne peut identifier l'agitateur nommé "le
Gommeux", bien vivant et actif en 42, comme étant ce
Jésus dit "Messiah" ("Unctus" en latin, "Oint" en français),
qu'il croit crucifié et mort à Jérusalem
dix ans plus tôt.
Alors, dans ses "Vies des Douze Césars", Suétone
écrit tout bêtement : Les Juifs provoquant continuellement
des troubles à l'instigation d'un certain "Gommeux",
Claude les chassa de Rome...
et la personnalité de ce "Chrestos, le Gommeux"
reste mystérieuse pour lui.
Pas pour nous !
2. L'erreur de Suétone est aussi compréhensible
du fait que ses sources, ces rapports de police des années
40, parlent bien de "Juifs" qui s'agitent et non de "Chrétiens".
Et c'est normal, car, à l'époque de l'empereur
Claude, les deux "religions" sont encore inextricablement liées.
Comme cul et chemise... ou plutôt, en l'occurence,
comme larrons en foire !
Mais au moment où Suétone écrit, quatre-vingts
années plus tard, les Juifs et les Chrétiens,
jadis très liés, se détestent cordialement.
Et cela, Suétone le sait parfaitement.
Alors, comment voulez-vous que le bon historien puisse envisager
une seconde que ces Juifs, qui haïssent les Chrétiens,
se soulèvent à l'instigation de Christ... Ce Christ
qu'ils maudissent hebdomadairement dans leurs synagogues !
Ce ne peut être, aux yeux de Suétone, qu'une impossibilité
flagrante !
Dès lors, si Suétone peut écrire sans frémir
et sans avoir besoin de mettre les points sur les "i" que les
Juifs provoquent continuellement des troubles à l'instigation
d'un certain Chrestos, c'est qu'il pense que personnage inconnu
mais bien vivant en 42, que ce "Gommeux" dont se revendiquent
les Juifs, n'est qu'un quelconque agitateur juif, connu uniquement
sous ce ridicule sobriquet grec. Mais, pour lui, en aucun cas,
il ne peut s'agir de ce Jésus que les Juifs haïssent.
Nous, qui connaissons l'évolution des relations
entre les deux religions, nous pouvons faire le rapprochement entre
ce Chrestos, chef des Juifs de Rome sous Claude, et Jésus-Christ,
fondateur de la religion chrétienne. Pas Suétone !
Pour lui (et pour la plupart de ses lecteurs d'ailleurs), c'eût
été le comble de l'invraisemblance.
Bref, soit Suétone savait que Jésus,
avait survécu (Dieu sait comment) à la crucifixion
de Ponce Pilate, soit il n'a fait pas le rapprochement entre le
crucifié et Jérusalem et l'agitateur populaire juif
qui sévissait à Rome en l'an 42 ; mais dans les deux
cas de figure, le texte de Suétone précise bien que
Jésus était encore vivant en 42. Dans le cas contraire,
l'historien latin l'aurait précisé, noir sur blanc
!
|